Chaque soir à 20h, les français manifestent leur soutien au personnel soignant en les applaudissant à leurs fenêtres. Sans remettre en cause le formidable dévouement du personnel médical, n’oublions pas que leur travail serait impossible sans celui d’autres personnes, mais aussi grâce à l’énergie abondante.

Temps de lecture : 5 mn

Un élan né sur les réseaux sociaux

Le 17 mars 2020 à 12h, le gouvernement appelle les français à rester chez eux afin de ralentir la propagation du virus Covid-19. Les jours qui suivirent, de nombreuses personnes déjà atteintes ont dû être prises en charge dans les hôpitaux. Nous commencions à vivre ce que les italiens avaient vécu plusieurs jours auparavant. Le peuple français s’est donc rendu compte de l’importance vitale (au sens propre) de son personnel soignant. Les premiers appels à manifester notre soutien envers la profession médicale ont rapidement été viraux sur les réseaux sociaux, si bien que les journaux télévisés ont repris cet appel en direct, à 20h.

Un sentiment de non adhésion au mouvement

Sans vraiment savoir pourquoi, je me suis senti mal à l’aise à l’idée de soutenir publiquement à ma fenêtre uniquement le personnel médical. Pire, je ressentais une légère honte à l’idée de ne pas soutenir ce mouvement. « Comment oses-tu ? » aurait-on pu me dire…
Je n’ai pas tardé à trouver la réponse à ces questionnements : nous sommes tous interconnectés. Notre travail, notre alimentation, nos soins, notre (sur)vie dépendent du travail d’autres personnes, de machines et de l’énergie qui alimente ces machines. Pourquoi alors manifester à sa fenêtre son admiration pour le corps médical (qui mérite certes cette admiration) en faisant fi de tout ce qui fait fonctionner le corps médical ? Mais d’ailleurs, moi aussi, nous aussi : qui nous permet de vivre en bonne santé avant de passer par la case hôpital ? D’écrire cet article ? De le lire ? De manger un bon repas confiné chez soi juste avant d’aller à 20h applaudir à la fenêtre ?

La base de tout : l’alimentation

Un des besoins primaires et vitaux de tout être vivant est bien évidemment de s’alimenter pour assurer sa survie. L’homme n’échappe pas à cette règle. Pendant ce confinement, nous français, avons l’immense chance de bénéficier d’un réseau de production, importation et distribution alimentaire. En conséquence, et sans compter la soif d’accumulation de certains d’entre nous, les rayons des supermarchés, des boulangeries et les étals des marchés sont restés pleins depuis le début de la crise. Pourtant, 97 % d’entre nous ne sont pas agriculteurs. Cela veut bien dire que des agriculteurs travaillent, en France ou ailleurs, pour produire ces aliments. Les usines de transformation fonctionnent, les élevages, les coopératives agricoles, les minoteries, les fromageries, les marchés de gros comme Rungis, les transporteurs routiers, le fret ferroviaire, etc. Et en bout de chaîne les supermarchés, boulangeries, et tous les autres commerces alimentaires autorisés à exercer leur activité. Ce sont autant de maraîchers, éleveurs, conducteurs d’engins, livreurs, boulangers et caissiers, hommes et femmes, qui sont au travail pour subvenir à nos besoins alimentaires vitaux.
Que l’on soit confiné chez soi ou faisant partie du personnel soignant, nous sommes tous dépendants de cette chaîne d’approvisionnement complexe faisant intervenir des milliers de personnes, de machines industrielles et agricoles.

Le personnel médical lui aussi dépendant

Mais tout ceci n’est pas suffisant pour soigner une population. Une fois rassasiées et motivées, nos équipes médicales ont besoin d’outils pour travailler. Elles vont utiliser des quantités d’objets et de machines médicales, jetables ou non : masques, combinaisons, aiguilles, seringues, respirateurs, tuyaux d’alimentation, pompes à circulation, électrocardiogrammes, etc. Tous ces objets ont été fabriqués dans des usines, en France ou ailleurs, par des ouvriers, des techniciens, ingénieurs… et d’autres machines industrielles !
Une fois arrivées à l’hôpital (par des transporteurs et des camions), les machines médicales ont besoin d’énergie pour fonctionner, et sont bien souvent reliées à des réseaux de fluides médicaux eux-même dépendants de machines comme des compresseurs.

L’alimentation des machines : l’énergie

Le point commun fondamental entre la chaîne d’approvisionnement alimentaire et la réalité du travail médical est l’omniprésence de machines en tout genre, dont le fonctionnement est conditionné à leur alimentation en énergie. Un médecin peut avoir le meilleur respirateur du monde, il sera peu efficace sans alimentation électrique. Il en est de même pour le tracteur du céréalier qui n’avancera pas très loin sans gazole. Cet état de fait est valable pour toutes les machines qui nous entourent (voiture, grille pain, aspirateur, etc.) et celles que nous ne voyons pas (rotatives, métiers à tisser, laminoirs, etc.) Là encore, des milliers de personnes à travers le monde sont nécessaires à la mise à disposition de toute cette énergie : dans les puits de pétrole, les raffineries, les centres de stockage, les centres de maintenance des gazoducs, les mines de charbon et métaux rares, les barrages, les centrales nucléaires, la construction de panneaux photovoltaïques, les transports routiers, le réseau de transport et de distribution d’électricité et de gaz, etc.

Sans énergie : la guerre civile

Que ce soit pour notre alimentation, le fonctionnement de l’hôpital ou de n’importe quelle activité, l’énergie est vitale pour nos sociétés industrielles et par conséquent pour nous humains. Pendant que les soignants sont au front de la dernière chance, pendant que l’activité s’est mise en pause, nous avons la chance de pouvoir continuer à nous nourrir et boire comme le temps de l’avant-crise. Cet aspect tant négligé est pourtant fondamental pour que nous soyons en sécurité face à un besoin dont dépend notre survie.
Il est bien évident que si notre besoin alimentaire n’était pas satisfait, les rayons vides au supermarché seraient légion et la population bien plus difficile à maintenir confinée.

Les oubliés des oubliés

Lors des prochaines célébrations de 20h à nos fenêtres, ayons donc une pensée pour le personnel soignant, mais aussi les personnes de l’ombre évoquées précédemment. Ayons aussi à l’esprit que d’autres oubliés ont été oubliés dans cet article, et que seuls nous ne sommes rien. Ces temps troublés où l’entraide se met en place naturellement le montrent bien.

Sources d’inspiration

http://www.leparisien.fr/politique/coronavirus-didier-guillaume-appelle-les-francais-sans-activite-a-aller-aider-les-agriculteurs-24-03-2020-8286633.php

https://www.levif.be/actualite/belgique/un-medecin-urgentiste-je-ne-supporte-pas-les-gens-qui-applaudissent-les-soignants/article-opinion-1267195.html

https://jancovici.com/publications-et-co/articles-de-presse/un-emploi-une-machine/

3 réponses
  1. Benoit
    Benoit dit :

    Bravo Rémi pour ce premier billet plein de bon sens et de réalisme. J’ai ressenti la même chose que toi, et me suis interrogé de la même façon sur le caractère « indispensable » de notre activité humaine… tout le monde mérite cette reconnaissance du nécessaire à la vie, même si les soignants sont aujourd’hui au premier plan (et ils le méritent)… et en réponse à tous les messages virulents sur les réseaux, pour mémoire les agriculteurs, les producteurs, les transporteurs etc… ne sont pas dans le public et n’ont pas de régimes spéciaux… pas besoin donc de créer de la fracture sociale, nous avons besoin d’unité et de solidarité. Bises mon Rémi!

    Répondre
  2. Stupar Vasile
    Stupar Vasile dit :

    J’ai lu avec interet ton article car tout comme toi j’ai la dilemme du 20h. Une belle façon de penser à laquelle j’adhère! Bises

    Répondre

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