Lancée il y a maintenant plus de deux ans, l’Affaire du siècle a brièvement agité les médias cette semaine. Le tribunal administratif de Paris a en en effet reconnu mercredi la faute de l’État concernant son engagement à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le résultat reste pour l’instant provisoire et hautement symbolique.
Cette condamnation fera-t-elle réellement baisser les émissions de gaz à effet de serre ? L’État est-il le seul responsable ? Si oui et s’il assumait ses responsabilités, serions nous prêts à accepter les réformes qui s’imposeraient ? Voici quelques réflexions autour de la notion de responsabilité au sujet du changement climatique.
Temps de lecture : 8 mn
Photo d’illustration : laffairedusiecle.net
Reconnaître tout d’abord le travail effectué
Commençons tout d’abord par constater que ces questions n’auraient pas même pas lieu d’exister si « L’affaire du siècle » n’avait pas été initiée. En pleine crise des gilets jaunes, soutenue par 4 associations aux moyens de communication importants, la pétition lancée à l’époque avait récolté pas moins de 2 millions de signatures en 1 mois. Un record !
Cet engouement populaire doublé d’une actualité sociale tendue a permis de mettre sur le devant de la scène le sujet brûlant du changement climatique.
Un précédent similaire au Pays Bas
Bien avant nous, une affaire similaire a été lancée en 2013 au Pays Bas. En 2015, l’État néerlandais a été enjoint d’en faire d’avantage pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Il fallu attendre encore 3 ans de plus, en 2018, pour que la cour d’appel confirme ce jugement. Malgré ces évènements, les émissions de gaz à effet de serre des Pays Bas n’ont toujours pas commencé à baisser de manière significative depuis 2013.
On peut donc se demander (cyniquement certes) à quoi ont donc servi ces 7 années de procédures judiciaires sur le plan strictement climatique.
Un résultat similaire en France, mais après…
En France, l’affaire du siècle commence étrangement comme l’histoire néerlandaise. Au bout de plus de 2 ans d’effort, la justice a enfin admis la carence de l’État sur le sujet mais le dossier judiciaire est loin d’être clos. Cette victoire est donc temporaire et symbolique, à en juger par la somme d’1 € que l’État doit payer aux 4 associations à l’origine de la démarche.
Nous pouvons faire le parallèle avec les COP, ces conférences des Nations Unies sur le climat dont l’objectif est de réduire les émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial. Depuis 29 ans, date du sommet de la Terre à Rio en 1992, 25 COP ont été organisées. Les émissions de gaz à effet de serre mondiales ont-elles baissé ? La concentration en CO2 dans l’atmosphère a-t-elle baissé ? Le constat est cru : non. Pire, ces deux indicateurs ont augmenté, de 40 % pour le premier et de 14 % pour le second. On peut porter un regard toujours cynique mais réaliste sur les COP en constatant qu’elles ne produisent aucun effet sur le sujet qu’elles sont censées traiter.
La responsabilité de qui au sein de l’État ?
Revenons à notre Affaire du siècle et admettons que l’État soit réellement condamné par la justice à agir sous peine de sanctions. Deux uniques voies sont possibles : soit l’État n’atteint pas l’objectif assigné par la justice, soit il y parvient.
Admettons dans un premier temps qu’il n’y parvienne pas.
Quelle sera alors la condamnation réelle ? Au bout de combien d’années ? À l’encontre de qui ? Pour l’État en tant que personne morale ? Un ministre ? Un responsable de cabinet ? Un chef de service ? Un agent ? Si amende il y a, sera-ce l’État qui paiera ou des personnes physiques au titre de leur responsabilité personnelle ? Pour assurer sa défense, l’État pourra toujours incriminer des opposants politiques. De bonne foi ou non, il pourra aussi rejeter la faute sur ses services, les collectivités locales, les entreprises, les associations, les citoyens (nous reviendrons sur ce cas plus loin).
Au bout du bout, quand on voit le peu d’affaires de corruption qui débouchent aujourd’hui sur des condamnations significatives, j’ai peine à imaginer que quiconque puisse être incriminé personnellement au sein de l’État pour l’Affaire du siècle. Autrement dit, du chef de l’Etat au fonctionnaire de base, personne ne risque réellement sa vie, sa maison ou ses économies en cas de faute. Et s’il y avait à payer quelque chose, il y a fort à parier que notre caisse commune nationale serait ponctionnée.
Admettons maintenant que les émissions de CO2 baissent et que l’État soit identifié comme l’acteur majeur à l’initiative de cette baisse.
Il est évident que cet objectif n’aura pu être atteint que par l’application d’une série de mesures pratiques accompagnées de changements sociétaux de fond.
Imaginons que ces changements aient été impulsés par une initiative démocratique directe innovante telle que la Convention Citoyenne pour le Climat. Nulle question de science fiction ici puisque cette convention existe et qu’elle a formulé 149 propositions en ce sens. Supposons alors que ces propositions soient soumises aux parlements et que ces derniers les acceptent dans leur immense majorité, en faisant appel à leur simple bon sens. Il faut enfin supposer que la population accepte et applique ces mesures. Au prix d’un effort global de pédagogie, et d’une exemplarité de l’appareil d’État, pourquoi pas. Quelle est la probabilité de cette réussite ? Joker.
À l’opposé, nous pouvons également imaginer que ces changement soient le fruit de décisions beaucoup moins démocratiques. En quelque sorte des articles 49.3 en série pour décider et une loi « sécurité environnementale globale » pour appliquer. Nul ne sait si cette voie pourrait aboutir un jour, pour le climat ou pour autre chose, mais je préfère à titre personnel la voie précédente.
Même condamné, l’État risque fort de ne rien faire
Résumons.
1) Si l’État réussit à faire ce qui lui est demandé, cela impliquera de grands bouleversements sociétaux, qu’ils soient acceptés et démocratiques, ou brutaux et peu agréables. Ces changements devront s’opérer au sein de l’État, des organisations, mais aussi à l’échelle de la vie quotidienne des individus. Ce n’est rien de moins qu’une une remise à plat de notre société.
2) Si l’État échoue, les risques et les conséquences pour lui sont finalement assez faibles car personne en son sein risque sa vie dans cette épreuve. Sans risque pressant et sans vision de long terme, pourquoi agir ?
Le résultat est sans appel, l’État n’a aucun intérêt pratique à s’embarquer dans la lutte contre le changement climatique, du moins à court terme.
Une responsabilité certes partagée mais inégale
Alors au final, l’État est-il le seul responsable ? Qui est d’ailleurs responsable du changement climatique ? La réponse à cette question complexe dépend finalement de qui la pose. Florilège d’exemples :
L’État peut dire « les citoyens sont responsables car ils ne veulent pas appliquer mes mesures ». Les citoyens peuvent dire « ce sont les grand patrons et les compagnies pétrolières ». Les compagnies pétrolières peuvent dire « ce sont les citoyens, tous drogués à mon pétrole et à leurs voitures ». Les ONG et citoyens peuvent dire « c’est l’État qui ne fait rien ». Un adolescent dira que « c’est un boomer qui a acheté un SUV ». Je me prendrai enfin une remarque d’un automobiliste « parce que la batterie de mon vélo électrique pollue » (c’est du vécu).
Bref, on trouve toujours quelqu’un « meilleur » ou « moins bon » que soit, quelqu’un sur qui rejeter la faute ou l’inverse. Le changement climatique est un problème sociétal, systémique et global. Il ne peut être résolu que collectivement.
Si chaque individu peut et doit « faire sa part » à la manière du mouvement des Colibris, il n’en reste pas moins que certains ont un pouvoir d’action bien plus important que d’autres : ceux qui détiennent le pouvoir politique, économique, médiatique, et surtout financier.
C(r)ibler les riches ?
Prenons un très bon indicateur de notre contribution au changement climatique : plus nous sommes riches, plus nous avons un impact. Si on raisonne au pays, un nigérian moyen a un impact carbone plus faible qu’un français moyen. Si on raisonne à l’individu, une personne au RSA a un impact carbone statistiquement plus faible qu’un cadre qui gagne 3000 € par mois. Oxfam signalait fin 2020 que les 1 % les plus riches de la planète émettaient deux fois plus de CO2 que les 50 % les plus pauvres. Cette tendance se retrouve à notre niveau national.
Si on raisonne à l’individu, les plus responsables du changement climatique sont incontestablement les plus riches. Ce sont aussi généralement les mêmes qui détiennent les pouvoirs cités ci-dessus. Cela entraine-t-il pour eux de renoncer à leur richesse et à leur pouvoir ? Il semble évident que partager leurs richesses et utiliser leur pouvoir vers une voie « bas carbone » est un minimum. Qu’ils le fassent spontanément l’est beaucoup moins.
À l’inverse, un français « riche » ne peut pas demander de faire un « effort climatique » à un autre français plus pauvre que lui. Ce dernier est en effet statistiquement moins émetteur que son compatriote « riche ».
La (presque ?) seule issue : éducation, partage et démocratie directe
Au niveau collectif, toute société qui mute dans un esprit démocratique doit le faire avec l’assentiment de la majorité de son peuple. C’est un pré-requis capital.
Premièrement, pour que chacun se sente concerné par le sujet, il faut d’abord commencer par s’éduquer (ou se faire éduquer) sur le changement climatique. En d’autres termes, que chacun ait la possibilité de sortir de son quotidien et s’imprègne factuellement de ces enjeux qui touchent au long terme. La Convention Citoyenne pour le Climat en est un exemple criant. Au départ, 150 personnes qui ne connaissaient pour certaines rien au changement climatique, voire complètement désintéressées par le sujet. À l’arrivée, 150 personnes qui maîtrisent certainement mieux le changement climatique que n’importe quel élu ou dirigeant. En se donnant les moyens de cette éducation générale de la population, les pouvoirs publics sont pleinement dans leur rôle. Ici encore, qu’ils le fassent spontanément est une autre question.
Deuxièmement, lutter contre le changement climatique, c’est d’abord lutter contre nous mêmes. C’est vaincre nos pulsions consuméristes auxquelles la société industrielle nous permet (enjoint ?) d’accéder à chaque instant. Dans notre monde aux dimensions finies, des efforts devront être consentis par ceux qui possèdent le plus en direction de ceux qui possèdent le moins. Notre planète n’a pas les ressources physiques pour faire l’inverse, c’est-à-dire offrir à tous les habitants du monde le niveau de vie actuel des plus riches. Ce n’est même pas une question d’argent ou de technologie, juste de lois physiques.
Troisièmement, toutes ces mutations doivent être faites idéalement dans le cadre d’une démocratie directe. Une troisième fois, la Convention Citoyenne pour le Climat en est un exemple parfait. Face à des pouvoirs publics de plus sur la défensive et inondés d’affaires en tout genre, prendre des décisions collectives est la meilleure manière d’atteindre cet objectif d’une manière solide.
Conclusion : pas simple de changer de système !
Il est facile de se projet dans un monde qui fonctionne différemment, plus équilibré, plus sobre et plus juste. Le chemin pour y arriver est en revanche semé d’embuche et d’interrogations : comment le mettre en place ? Par qui ? Est-ce d’ailleurs possible de le faire ? Une vague démocratique populaire ? Les gilets jaunes ? Une révolution ? Ceux qui ont le pouvoir aujourd’hui vont-ils facilement le céder ou le partager ? En ont-il envie ? Le besoin ?
Quand la fin d’un article aboutit sur plus de questions qu’à son début, c’est qu’il est temps d’en commencer un autre. À vous d’imaginer sa suite !
Sources d’inspiration
L’affaire du Siècle
https://laffairedusiecle.net/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_du_si%C3%A8cle
Jugement du tribunal administratif du 3 février 2021
https://reporterre.net/IMG/pdf/1904967_1904968_1904972_1904976.pdf
https://www.france24.com/fr/france/20210203-l-affaire-du-si%C3%A8cle-premi%C3%A8re-historique-ou-jugement-symbolique
Émissions de GES des Pays Bas
https://fr.statista.com/statistiques/585733/gaz-effet-serre-emissions-par-personne-pays-bas/
Émissions de GES mondiales
https://donnees.banquemondiale.org/indicator/EN.ATM.GHGT.KT.CE
Concentration en CO2 dans l’atmosphère
https://fr.wikipedia.org/wiki/Courbe_de_Keeling
Revenus et impact carbone
https://www.oxfamfrance.org/communiques-de-presse/les-1-les-plus-riches-sont-responsables-de-deux-fois-plus-demissions-que-la-moitie-la-plus-pauvre-de-lhumanite/
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