Cet article va nous plonger au coeur du clignotant, le grand oublié de nos chères automobiles. À en constater son usage fort limité sur nos routes, plusieurs questions se posent. Son utilisation est-elle trop complexe ? Est-il encore beaucoup trop loin de notre main gauche ? Est-il fourni en option ? Existe-t-il une maladie chronique que l’on pourrait appeler clignotite ? Ou sommes-nous tout simplement fainéants ? Laissez votre premier degré au bord de la route, emportez votre sens de l’humour et c’est parti !
Temps de lecture : 7 mn
Le cligno-quoi ?
Commençons par un petit rappel, tant pour les jeunes que les moins jeunes conducteurs. Le clignotant est une manette qui se trouve généralement à gauche du volant. Quand on l’actionne, elle allume et fait clignoter une série de petites lumières orange que l’on trouve de chaque côté d’un véhicule. Si vous vous dites « ah c’est donc ça ce truc, je me suis toujours demandé à quoi ça servait » : restez, vous êtes au bon endroit !
Avant de continuer, remontons un peu le temps afin de découvrir le clignotant d’antan.
C’était comment le clignotant avant ?
Jusqu’au début du XXème siècle, les clignotants étaient tout simplement nos bras. Cette technique inspirée des cyclistes n’a d’ailleurs pas pris une ride pour nos braves deux-roues non motorisés. Sauf à avoir le bras long, on s’est alors vite rendu compte qu’il était délicat de signaler un changement de direction à droite de notre véhicule (ou à gauche pour nos amis anglais ou australiens).
Afin de garder nos mains intactes à l’intérieur de l’habitacle, nous avons inventé les flèches. Il s’agissait d’actionner une tirette sur le tableau de bord qui faisait monter ou descendre des flèches de chaque côté du véhicule. Ce système ingénieux mais sommaire nécessitait toutefois de penser à redescendre la flèche. On comprend vite les désagréments possibles en cas d’oubli.
C’est après cette longue évolution que le clignotant a pris sa forme que nous connaissons aujourd’hui.
Mais au fait il sert à quoi le clignotant ?
Vous avez raison de m’interrompre, recentrons-nous sur le sujet : à quoi sert cette manette à gauche du volant. Certains émettent l’hypothèse qu’elle déclenche le son « tic-tac-tic-tac », tel un métronome très régulier. D’autres pensent que les petites lumières vertes qui s’allument donnent du style à notre tableau de bord. Que nenni, il n’en est rien. L’objectif réel du clignotant est trop souvent passé sous silence par les lobbies de la musique et de la mode : il sert à signaler le changement de direction du véhicule que nous avons entre nos mains. Quelle révélation !
Signaler à qui ?
Très bonne question. Ayons à l’esprit que sauf en cas de guerre nucléaire à l’issue de laquelle il ne resterait qu’une seule personne sur terre, nous sommes bien souvent entourés d’autres personnes conduisant elles aussi des véhicules. Notre clignotant sert donc à signaler nos changements de direction à ceux que l’on appelle « les autres ». Dit autrement, tous ceux que l’on distingue mal derrière le confort silencieux de notre habitacle douillet et nos vitres teintées. Il arrive même que « les autres » ne soient pas dans une voiture, mais aux manettes d’objets à deux roues que l’on appelle « vélos » ou « motos ». Pire, des témoins ont rapporté avoir vu des « autres » à pied sans aucun véhicule, équipés de leurs seules jambes…
Un changement de direction ? Ça n’arrive jamais non ?
Nous avons bien identifié les personnes à qui signaler nos changements de direction. Mais savons-nous vraiment ce qu’est un changement de direction ? En France, un changement de direction est défini dans l’article R412-10 du célèbre code de la route. Et pas de chance, c’est très souvent : quand on dépasse, qu’on se rabat, quand on quitte ou qu’on rejoint une place de stationnement, quand on tourne à droite ou à gauche, que l’on soit arrêté ou non, dans un rond point, quand on entre ou on sort de l’autoroute.
Mais en fait, qui met son clignotant ?
Voici un chiffre très éloquent : la moyenne des sources que j’ai trouvées donne un taux d’utilisation du clignotant de moins de 50 %. C’est donc énorme : plus d’un changement de direction sur deux n’est pas signalé « aux autres ». Les chiffres confirment bien ce constat que l’on peut tous faire en restant quelques minutes à un carrefour, un rond point ou au dessus d’une voie rapide.
Par mégarde, paresse ou négligence ? Parce que c’est trop compliqué ?
Bien qu’il soit assez facile de savoir que le clignotant est peu utilisé, je n’ai trouvé aucune étude qui explique « pourquoi ». Explorons donc les raisons possibles de ces « oublis ».
1) On ne peut pas penser à tout quand on conduit
Il arrive que certaines situations de conduite soient particulièrement complexes, notamment dans les grands carrefours ou dans une circulation dense. On peut alors imaginer que notre cerveau supprime des actions qu’il juge non nécessaires telles que mettre le clignotant. Mais le raisonnement inverse est encore plus pertinent : c’est justement dans ces situations complexes que le cerveau a besoin d’informations claires et fiables pour décider et agir. Dois-je entrer dans le rond point ? Est-ce le moment de changer de file ? Ai-je le temps de m’engager ? C’est donc l’utilisation généralisée du clignotant dans les situations complexes qui les rendra plus simples.
2) Oups j’avais oublié !
Suite à une distraction, une discussion animée ou à de profondes pensées, il peut arriver un oubli du clignotant. Dans la mesure ou l’oubli est vraiment non intentionnel, on peut se dire qu’il est excusable. Mais prenons du recul quelques minutes. Si nous avions un examinateur du permis de conduire à côté de nous, aurions-nous oublié le clignotant ? Suite à un oubli, si nous provoquons un accident et tuons « un autre » (ou notre enfant assis sur le siège passager), des excuses suffiront-elles ? De manière plus large, si notre chauffeur du bus ou notre pilote avion est connu pour oublier de réaliser des procédures de sécurité parce qu’il est facilement distrait, accepterions-nous de voyager sous son aile ? Pas certain.
3) C’est pas grave, y’a personne ou ça sert à rien dans cette situation
L’argument « il n’y a personne » ou « ce n’est pas la peine » m’est souvent donné en formations ou dans des discussions privées. Cet argument est encore une fois bien contestable pour 2 raisons. Tout d’abord, les définitions de « il n’y a personne » et « ce n’est pas la peine » sont propres à chacun. Un piéton ou un vélo est-il considéré comme « personne » ? Une voiture à 200 mètres devant ou derrière nous doit-elle être prise en compte ? Est-ce qu’une flèche indiquée au sol remplace le clignotant ? Y a-t-il vraiment personne, même à 4h du matin ? On comprend que si chacun y va de son interprétation, cela risque fort de nuire à la fluidité du trafic et à la sérénité globale des conducteurs et in fine à la sécurité.
Par ailleurs, n’est-il pas plus simple de mettre le clignotant tout le temps afin de soulager notre cerveau déjà bien occupé ? Nous disions plus haut que certaines situations sur la route étaient complexes. Pourquoi s’infliger une couche de complexité supplémentaire en se demandant tout le temps : « est-ce bien la peine de mettre le clignotant dans cette situation ? Suis-je certain qu’il y a personne ? ». Alors soyons fainéants, épargnons nous ces questionnements métaphysiques et mettons-le tout le temps. Les « autres » que l’on croyait absents nous remercieront.
4) C’est techniquement compliqué à utiliser le clignotant
Cet argument renvoie aux quelques paragraphes du début qui racontent ce qu’était un clignotant il y a quelques dizaines d’années. La (re)lecture de ces lignes relativisera l’effort qu’il faut fournir pour actionner la petite manette de nos véhicules d’aujourd’hui. Reconnaissons toutefois un cas où un effort insurmontable est nécessaire pour clignoter. Imaginez-vous en plein été, fenêtre ouverte et bras gauche pendant à l’extérieur de l’habitacle à cause de cette fichue clim en panne. Comment signaler votre prochain « tourne-à-gauche » avec ce bras si loin de la manette ? C’est évident, personne ne peut surmonter un tel effort physique, vous pas plus qu’un autre.
5) Et puis m…. laissez-moi tranquille je fais ce que je veux !
Si vous êtes resté.e insensible aux arguments précédents, peut-être vous est-il souhaitable de consulter un spécialiste de la clignotite ?
Combien ça coûte (ou rapporte) de ne pas clignoter ?
Revenons à des choses bassement matérielles. Ne pas mettre son clignotant est passible d’une amende de 35 € et de la perte de 3 points sur son permis. Faisons un rapide calcul d’ordre de grandeur pour estimer le montant des recettes si tous les clignotants omis étaient suivis de sanctions.
Nos voitures parcourent chaque année 700 milliards de kilomètres à travers la France (soit environ 10 000 km par personne ou 900 000 allers-retour Terre-Lune). Admettons que nous devons mettre notre clignotant tous les 7 kilomètres, ce qui est une estimation bien en dessous de la réalité. Chaque année, le clignotant devrait donc être activé (au moins) 100 milliards de fois, mais il n’est utilisé en pratique qu’une fois sur deux. 50 milliards de verbalisations par an seraient donc établies pour le seul motif du clignotant.
Au choix 1 an d’oublis de clignotants = la dette de l’État renflouée
Les recettes associées à tous les « oublis » de clignotants seraient donc de 1 750 milliards d’Euros. La dette de l’État accumulée depuis des décennies (1 600 milliards d’Euros) serait résorbée en une seule année.
Au choix 1 an d’oublis de clignotants = tous les permis retirés en … 2 jours !
N’oublions pas nos chers points ! À raison de 3 points par verbalisation, 150 milliards de points seraient supprimés chaque année. Sachant qu’il y a environ 40 millions de conducteurs, chacun perdrait environ 10 points par jour ! Dès le 2 janvier, plus aucun français n’aurait son permis.
Certains verront dans ces chiffres une preuve de plus pour dire que les conducteurs sont des « pompes à fric ». D’autres y verront une aubaine pour les finances publiques. L’objectif est ici tout autre. Contrairement aux apparences, il s’agit de montrer que nous sommes finalement assez peu « sanctionnés ». Si nous ajoutions au clignotant toutes les autres règles du code de la route, nous aurions tous perdu notre permis non pas le 2 janvier mais dès le 1er janvier à midi !
En conclusion, quel est le message ?
Rappelons l’objectif initial qui était de se demander pourquoi le clignotant était si boudé par nous autres conducteurs. Pour les plus novices ou étourdis, nous avons déjà rappelé ce qu’était le clignotant et à quoi il servait. Nous avons constaté que nous ne l’utilisions que dans la moitié des cas, mais qu’il était difficile de savoir pourquoi ce taux était aussi faible. Parmi les raisons possibles explorées, force est de constater que la plupart relèvent plus de notre paresse, de nos interprétations personnelles ou du rejet de cette règle du code de la route. Dans le cas de situations de conduite vraiment complexes, nous avons vu que c’est justement l’utilisation collective et généralisée du clignotant qui pouvait rendre plus simples et compréhensibles ces situations complexes.
Nous avons ensuite vu qu’au regard des sanctions théoriquement possibles pour le seul non usage du clignotant, nous étions finalement peu verbalisés. En effet, si nous étions collectivement tous verbalisés à chaque clignotant non mis, plus aucun français n’aurait son permis du jour au lendemain ! Mais la question de la sanction est accessoire. Prenons de nouveau un peu de recul.
Quand nous sommes confortablement assis au volant d’une voiture, le simple geste qui consiste à appuyer sur l’accélérateur permet de délivrer instantanément une puissance équivalente à l’effort fourni par 300 personnes au maximum de leur capacité physique. Jamais aucun humain avant nous n’a eu accès à une telle puissance accessible d’un geste aussi simple. En parallèle, quel est l’effort nécessaire pour mettre un petit clignotant ? Ne revenons pas sur l’effort physique tant il est ridicule de l’évoquer. Quant à l’effort intellectuel, la réponse est simple : pour une fois, soyons fainéants tant il est agréable et utile de l’assumer aux yeux de la société ! Ne nous posons pas de questions, simplifions et mettons le clignotant dans toutes les situations. Notre cerveau nous remerciera de l’avoir soulagé de réflexions aussi ingrates qu’inutiles.
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